SECTION « TRADITIONS ET PHILOSOPHIES »
Par Eliphas Drippic, Extrait du collectif Le temps, Diffusion Rosicrucienne, 2011.
« Avec Carnaval, on retrouve les fêtes romaines vues ci-dessus, avec les masques des luperques, mais aussi les sacrifices des Pélasges, les fêtes grecques en l’honneur de Dyonisos, celles du retour du printemps, personnifié par une jeune fille chez les Saxons, et bien d’autres encore.
Pour aborder cette fête, il convient, nous semble-t-il, de partir du symbolisme de l’arbre. Nous avons parlé de son rôle chez les Scandinaves. Plus largement, il représente l’axe du monde, la vie végétale, et donc la régénération à chaque printemps. Il fait l’objet de rituels particuliers dans de nombreux pays sous le nom d’arbre de mai, et de fêtes sous la forme de mâts de cocagne, etc.
Le combat de la lumière contre les ténèbres
En Suède, le jour de la fête de Mai a lieu une lutte entre deux groupes de cavaliers, les uns représentant l’hiver, vêtus de fourrures et jetant des boules de neige et de glace ; les autres représentant l’été, ornés de branchages et de fleurs. Sur le Rhin, l’hiver apparaît vêtu de paille, et l’été de lierre. Évidemment l’été gagne, et les acteurs font le tour des maisons avec une belle couronne de fleurs en réclamant des cadeaux. On retrouve des cérémonies similaires chez les Esquimaux, les Yakout, dans les religions protohistoriques scandinaves. À la Saint-Pierre, le 29 juin, on célèbre en Russie « l’enterrement de Kostroma », l’une des figures mythiques symbolisant la vie et la mort rythmiques de la végétation. Ceci rappelle les luttes de Tiamat contre Marduk ; d’Osiris contre Seth ; d’Alein contre Mot chez les Phéniciens… Autant de luttes symbolisant le combat du bien sur le mal, et celui de la nature pour assurer la prééminence le Temps d’une saison sur une autre, l’expulsion de l’hiver ou sa mort, et l’introduction du printemps.
On voit que l’introduction de l’été doit aussi son origine au scénario de Carnaval. Il s’agit de montrer un oiseau par exemple, dans les Balkans, en Europe centrale ou septentrionale, ou une branche verte, un bouquet de fleurs, etc. On promène souvent rituellement un arbre, un morceau de bois, un homme vêtu de branchages ou une effigie, autant de signes similaires au Mai. Ces fêtes ne sont pas sans rappeler celle des Rameaux chez les chrétiens, organisée autour d’une procession dont l’itinéraire est jonché de fleurs, et le long duquel des rameaux portés par les fidèles sont bénis par le prêtre, ainsi que celle de Pentecôte, appelée aussi chez les juifs fête des Moissons, ou des Semaines, des Prémices, ou encore « fête des Clôtures » du temps pascal.
Fêter la Création et son renouveau
L’effigie du Carnaval est, en beaucoup d’endroits, condamnée à mort et exécutée, brûlée, noyée ou décapitée. Dans certaines localités, comme en Inde, on brûlait des sorcières qui personnifiaient l’hiver, ou on attachait l’effigie de l’hiver à une roue ; on reverra ce symbole plus loin. Chez les Altaïques, turcs et mongols, on escalade l’arbre afin de symboliser l’élévation vers les cieux. Au Tyrol, on brûle l’arbre le premier jeudi de Carême, en une procession solennelle rappelant la Saint-Jean, avec son traditionnel feu. Enfin à Rome, le 21 avril, étaient établis trois brasiers disposés en file que les bergers sautaient.
Autant d’indices montrant que la cérémonie a changé de date en passant d’une région à l’autre et en s’intégrant dans d’autres ensembles rituels ; ce n’est donc pas l’apparition réelle du printemps qui a créé le rituel, il ne s’agit pas non plus d’une religion naturiste centrée sur l’arbre ou la plante, mais d’un cérémoniel qui s’est adapté Le temps sacré aux circonstances, aux différentes dates du calendrier. S’il s’était agi d’une religion de la végétation, le culte serait exclusivement concentré sur des plantes ou des arbres. Avec Carnaval, en revanche, on reviendrait donc vers la notion de forces cosmiques en œuvre dans le prolongement des fêtes de la Création.
Le masque du Carnaval : un symbole particulier
Ceci nous conduit à observer que l’impersonnalité est une des grandes vertus du mystique qui a conscience que tout ce qui le lie à ce monde est futile et provisoire, jusqu’à son nom, son image, sa personne. Le sens de Carnaval est à associer à cette notion, et le signe extérieur qui traduit vraisemblablement le mieux le symbolisme de cette fête est sûrement le masque. À leur propos, Victor-Émile Michelet a écrit :
« Une personne, n’est-ce pas un masque ? La vie des mots se perpétue selon une logique infaillible. Dans le théâtre antique, sur la scène plantée en plein air devant d’innombrables gradins, l’acteur portait toujours un masque dont la bouche était un porte-voix, et ce masque s’appelait « personne ». La voix sonnait à travers lui (persona). Ainsi, si l’homme est une personne, c’est que le masque lui a donné son nom. Un héros de tragédie était toujours en relation avec le monde divin ou le monde démoniaque. Pour frayer avec les êtres surnaturels, il portait toujours un masque ; il leur présentait de lui-même une apparence rituelle, façonnée selon les canons d’un art hiératique. […] Plus loin encore, plus haut, monte le symbole du masque. La théologie dit que Dieu est personnel, proposition qui choque fort ceux qui n’entendent pas la langue française. Elle a conservé au mot « personnel » son sens fondamental de « masqué ». Elle signifie que Dieu est masqué par le monde, c’est-à-dire incommunicable. » »