« Dès l’Antiquité, le peuple de l’Égypte ancienne se distingue dans son mode d’existence au quotidien, tant par son sens moral, ses valeurs familiales, ses croyances religieuses, que par son raffinement. La femme égyptienne prête une grande attention à son apparence physique, elle apporte un soin particulier à son habillement, et pour paraître encore plus attirante, elle utilise des parfums, des onguents et autres aromates, elle se pare de bijoux et de talismans dotés de pouvoirs magiques. L’Égypte fut une civilisation joyeuse, où prédominait le bonheur de vivre.
Les maisons du Nil
Les maisons des villages qui s’étiraient sur les bords du Nil étaient rudimentaires, construites en pierre et torchis avec des charpentes en palmiers. En général elles se composaient de deux ou trois pièces et d’une cuisine en enfilade : des ouvertures, sortes de canons de lumière, étaient aménagées dans le plafond afin de laisser pénétrer l’air et la lumière. Dans la première pièce se trouvait un bloc rectangulaire en briques crues auquel on accédait par trois ou quatre marches, les côtés s’élevant jusqu’au plafond, ce qui lui donnait la forme d’un lit clos.
La deuxième pièce, dont le sol était surélevé, recevait au centre une grosse colonne en bois loti forme qui servait à soutenir le toit. L’ornement principal de cette pièce était un grand divan en brique logé dans un angle de la pièce et sur lequel on plaçait une confortable paillasse de crin et de jonc. Dans les murs étaient aménagées des niches pour y placer de petites statuettes : le dieu nain Bès y présidait avec Thouéris, génies protecteurs des naissances et des foyers. Pour se protéger des esprits mauvais venant du dehors, l’ouverture principale de la maison était peinte en rouge.
La pièce suivante était considérée comme l’appartement de la maîtresse de maison : le gynécée, servant de chambre à coucher pour elle et ses enfants. C’était là qu’elle recevait les femmes du village, et qu’elle se livrait aussi aux travaux qui lui incombaient : tissage, couture, broderie. Sous cette pièce était creusée une cave pour recevoir divers objets, des outils, des jarres à huile, des amphores contenant de la bière, de l’eau puisée dans le Nil ou dans les canaux d’irrigation. La troisième pièce, meublée de petites tables basses, de nattes, de tabourets, servait pour les repas ; au-dessus était aménagée une terrasse, et on y accédait par un escalier qui partait de la cuisine. Cette terrasse était couverte d’un clayonnage léger en bois sur lequel on étendait des joncs, ce qui permettait à la famille de passer la nuit dehors à la période la plus chaude de l’été : shémou.
Dans certaines demeures plus aisées, une petite pièce supplémentaire était réservée aux ablutions, on la nommait la « pièce combien fraîche ». Il arrivait qu’une autre pièce fût réservée à un lieu d’aisance, où se trouvait un siège fixe en pierre dont l’évacuation se faisait par une canalisation vers l’extérieur, ou bien un récipient en terre cuite placé sous le siège. Pour les plus démunis, selon toute vraisemblance, la plupart se contentaient d’un simple récipient en terre, et les sables du désert faisaient le reste. Les plus riches demeures comprenaient une pièce de repos avec salle de bains équipée d’un bassin, donnant sur le jardin.
En ce qui concerne l’évacuation des déchets ménagers et autres, les Égyptiens creusaient une fosse dans un terrain vague et y jetaient toutes leurs ordures ; ils amoncelaient aussi les déchets sur une décharge à laquelle ils mettaient le feu. Néanmoins les soins de propreté et d’hygiène du corps faisaient partie de la vie des Égyptiens, dans toutes les couches sociales. Dans les textes, il est question d’une coutume qui consistait à verser de l’eau sur les mains de l’homme rentrant du travail, ainsi que sur ses pieds pour les débarrasser de la poussière.
Le mobilier
Dans la maison, le mobilier était réduit au strict nécessaire : il se composait de tables basses en bois que l’on pouvait disposer à son gré, de grosses chaises à pieds carrés dont le fond était en vannerie tressée ou en lanières de cuir entrelacées, de tabourets rustiques en bois. Des coffres de différentes grandeurs servaient de meubles de rangement : on y mettait le linge, les vêtements, et divers objets comme des sandales, de petits godets contenant des onguents, des parfums, des boîtes à bijoux, sans oublier le miroir en métal poli, accessoire privilégié de la femme égyptienne. Après avoir examiné le cadre dans lequel vivait la classe moyenne du peuple égyptien et abordé l’aspect vestimentaire, portons notre curiosité sur les coutumes culinaires.
L’Art culinaire
Les Égyptiennes se montraient très inventives dans l’art culinaire : elles confectionnaient pains et galettes, faisaient rôtir des oies ou des canards, ou encore préparaient de savoureux ragoûts à base de lentilles ou de pois chiches cuits dans la graisse de canard et parfumés avec des aromates, sans omettre de succulentes pâtisseries ; du fromage de brebis, des dattes, des figues particulièrement appréciées complétaient les repas. Les Égyptiens faisaient trois repas par jour, ceux du matin et du soir étaient plus copieux que celui du midi ; le menu quasi quotidien se composait de pain rond et plat fourré aux fèves, au cumin, ou au miel, de viande de bœuf boucanée ou salée, de poisson consommé cru ou séché au soleil, de fromage de brebis, de figues et de dattes. Les jours de fête on ajoutait une oie rôtie avec des pois chiches et des galettes molles fourrées aux oignons. Dans la tombe de Nakht à el-Gournah, une fresque représente des cuisiniers préparant le rôtissage d’oies et autres volailles.
Les Égyptiens mangeaient avec leurs doigts, trempaient du pain dans les ragoûts, dans les sauces, mordaient à pleines dents les viandes rôties et le gibier ; les seuls couverts utilisés étaient les couteaux et les cuillères. Ils utilisaient aussi le rince-doigts, sous forme de petites coupelles en terre ou en métal contenant de l’eau additionnée de citronnelle et de menthe.
C’était un peuple qui respirait la gaieté, pour qui les plaisirs occupaient une place importante autour de joyeux repas animés par de la musique, des danses, des jeux, et où la bière coulait à flot. Si nous ne connaissons rien des recettes culinaires, en revanche nous savons que les Égyptiens aimaient la bonne chère. Ils disposaient d’ustensiles de cuisine qui, bien qu’élémentaires, étaient suffisamment variés pour les besoins : des récipients, des brocs, des jarres, des aiguières, le tout en terre cuite, des écuelles et des gobelets en bois ou en métal. Le récipient contenant les aliments à cuire était posé sur des pierres disposées en cercle, au centre duquel on plaçait le produit de combustion.
Pour allumer le feu, la maîtresse de maison utilisait une baguette bien sèche et taillée en pointe appelée « bâton de feu » qu’elle faisait tourner entre la paume des mains à grande vitesse sur un morceau de bois en forme de godet, et par échauffement la baguette s’embrasait. Ces « bâtons de feu » venaient de Nubie et coûtaient très cher, ce qui faisait que, le plus souvent, on faisait appel à la solidarité de chacun 28 pour obtenir quelques braises incandescentes. On employait le combustible le meilleur marché, tels des résidus desséchés de plantes cultivées, ou encore des excréments d’animaux qui étaient moulés dans un gabarit de bois rectangulaire et séchés au soleil.
Les plus aisés possédaient une cuisine équipée d’un fourneau en poterie, et le maître de maison faisait venir une sorte de charbon de bois appelé djâbet, rare et cher de ce fait. Ce combustible était livré dans de grandes poches et entreposé dans la cave, où se trouvaient déjà des amphores de vin et de bière. La table était aussi plus riche et plus variée, on y trouvait de la viande de bœuf, d’antilope, de chèvre, de gibier, comme du lièvre, des cailles, des pigeons, sans oublier du poisson confit dans du miel, du melon, des grenades, du raisin, du pain d’épice, des gâteaux au miel et du vin. Les légumes figurent en nombre sur les tables : les oignons, les poireaux, les radis, les concombres, l’ail et les laitues. Les légumes sont mentionnés dans le calendrier du temple de Médineh Habou, sous la dénomination générale de renpout (produits annuels).
Contrairement à la bière, boisson nationale, le vin erpi était fortement apprécié, mais seuls les plus aisés, voire riches de la société égyptienne pouvaient se permettre d’en consommer : ils le faisaient venir du Delta ou du Fayoum, et même de Palestine. Il faut savoir que pour l’Égyptien le vin était un don des dieux ; le roi Djöser, sous la IIIe dynastie, possédait des vignes dédiées au dieu Horus, appelé « Loué sois-tu Horus qui es au seuil des Cieux ». Les Égyptiens aimaient les vins sucrés, ils n’hésitaient pas à rajouter du miel ou des aromates, le vin blanc étant le plus apprécié parce que plus liquoreux, à l’inverse d’un vin rouge élaboré à partir d’un muscat noir et épais. L’Égypte ne produisant pas en quantité suffisante ce nectar divin, elle en importait de Phénicie et de Syrie, sous les Ramsès.
Le vin était entreposé et conservé dans des jarres scellées hermétiquement et marquées au nom du propriétaire avec la provenance et la date de mise en jarre. C’est en partie grâce à ces jarres à vin que l’on a pu établir les années de règne de chaque souverain. Dans la tombe de Nakht, prêtre et scribe sous Thoutmosis IV, de magnifiques fresques représentent des scènes de vendanges ; dans le tombeau de Sennefer appelé la « tombe des vignes » à Abd el-Gournah, des grappes de raisin décorent le plafond et les parois de la tombe. Mais là, le décor prend un sens sacré, il symbolise la vie sous son aspect intime d’immortalité.
Les habitants des villages ne pouvant s’offrir du vin consommaient de la bière préparée à base d’orge et de dattes dont le sucre assurait la fermentation. Pour la plupart ils fabriquaient leur propre bière, brune ou blonde, cette dernière étant réservée pour les fêtes. Cette bière est encore fabriquée de nos jours sur les bords du Nil, où elle est connue sous le nom de bouza. L’écume qui se formait lors de la fermentation était recueillie puis séchée : elle donnait la levure pour la fabrication du pain, qui revenait à la maîtresse de maison.
Les marchés
Les marchés dans l’ancienne Égypte étaient des lieux d’échanges très animés, hauts en cou leur (il en est toujours de même). Ils faisaient partie de la vie quotidienne, où hommes et femmes des villages se retrouvaient dans un déploiement d’agitation afin d’échanger des produits, parmi les plus divers, pour d’autres de première nécessité, c’est-à-dire des objets usuels contre des denrées alimentaires, par exemple. Ces marchés jouaient un rôle capital dans un pays où le troc était de rigueur. Dans le mastaba de Merêrouka à Saqqara, une très belle scène représente 31 hommes et femmes en route vers le marché. Dansla tombe de Khéti, du Moyen Empire, est représentée une scène très colorée d’un marché où l’on voit étalées viandes, volailles, légumes et fruits.
Sous le Nouvel Empire la balance fait son apparition, et dès lors, les Égyptiens s’acquitteront de leur dû en fonction d’un prix étalonné par des poids soumis à une unité de valeur : pas de pièces sonnantes, mais une échelle de prix. Un papyrus datant de Ramsès III nous indique qu’une peau séchée de chèvre vaut huit deben, une houe en bois, deux deben. Si les marchés étaient florissants d’animations et de commerce, ces jours-là les Égyptiens en profitaient pour se livrer à de véritables parties de plaisir, où ils buvaient parfois jusqu’à l’ivresse.
L’art vestimentaire
En ce qui concerne la tenue vestimentaire, peu de changements notables sont à signaler depuis le Moyen Empire jusqu’à la XVIIIe dynastie, que nous prendrons comme modèle de la mode. Les robes, de plus en plus amples et de qualité variable, épaisses comme de la toile ou fines comme de la mousseline, étaient toujours faites de lin. Une robe consistait en une grande pièce d’étoffe de deux mètres de long sur un mètre de large étendue derrière le dos, que la femme égyptienne ramenait en avant pour la croiser sous les seins, puis maintenait par une ceinture de couleur nouée sous la poitrine et retombant sur le devant en deux pans flottants. Parfois des drapés et des plissés mettaient la robe en valeur.
La tenue vestimentaire masculine a sensiblement évolué depuis les premières dynasties, passant du simple pagne en roseau ou en jonc aux pagnes en tissu de lin écru ou beige ; puis l’usage s’est rapidement généralisé d’une légère tunique plissée et bouffante avec autour de la taille une haute ceinture de tissu retombant sur le devant en un large pan. Bijoux, bracelets et colliers distinguaient les hommes et les femmes des classes aisées de ceux vivants dans les villages proches du Nil.
Les Égyptiens marchaient en général pieds nus, mais il leur arrivait parfois de porter des sandales confectionnées avec de la fibre de palmier, de la tige de papyrus, ou du jonc. Nous devons aux Égyptiens les plus anciennes représentations de la corporation des cordonniers à Memphis. Les plus belles paires de sandales sont sans conteste celles qui furent retrouvées dans la tombe de Toutankhamon, conservés au Musée du Caire, et dans celle de Ramsès II.
Les parfums
Les Égyptiens de toutes conditions adoraient les parfums et en faisaient grande consommation pour leurs soins de beauté. La femme égyptienne possédait son coffret en bois, parfois richement décoré, suivant la condition ; elle y rangeait boîtes à onguents, coupelles à fards, petites jarres d’huiles aromatisées à la myrrhe, au lis, à l’encens, à la cannelle, au safran, pots à Khôl pour souligner les yeux. Un tel coffret à fards en parfait état a été retrouvé dans la tombe de Mérit à Deir el-Médineh.
La composition et l’usage de ces produits ne sont pas toujours connus. Il existait des recettes de beauté dont certaines furent retrouvées, comme celle intitu lée Livre de la transformation d’un vieillard en jeune homme : par cette recette prometteuse on assurait que le produit atténuait les marques fâcheuses de l’âge ; il est évident que la recette était tout aussi valable pour la femme. Les moins riches qui ne pouvaient se permettre le luxe de tous ces produits se contentaient d’onguents à base d’huile de ricin dans laquelle ils broyaient de la menthe ou de l’origan.
Parmi les fragrances perdues de l’ancienne Égypte, il en est une dont les effluves ont continué jusqu’à nos jours à se répandre, c’est le khyphi (acorus calamus), ou roseau odorant. Dans la Bible, le prophète Jérémie évoque «la Canne parfumée des pays lointains». Les Égyptiens aspergeaient leurs lits de cinnamome (Laurus cinnamomum) qui donnait une substance aromatique très appréciée. La plupart des aromates et onguents venaient d’Arabie ou du Liban.
Bijoux et orfèvres
Des simples parures en coquillage de la période prédynastique aux bijoux les plus sophistiqués du Nouvel Empire, l’orfèvrerie connut au fil de l’histoire de l’Égypte un raffinement sans cesse renouvelé grâce à une maîtrise des corporations artisanales. Dès l’ancien Empire, l’or (nbw) extrait des mines de Nubie fit son apparition et contribua à la fabrication des bijoux et des masques funéraires. À partir du Moyen Empire, les orfèvres donnèrent libre cours à leur savoir-faire qui fut mis à profit avec une élégance de plus en plus raffinée. Ils savaient incruster, graver, ciseler, sertir les pierres précieuses, pratiquaient la soudure en mélangeant selon des proportions calculées l’or avec de l’argent. Ils utilisaient aussi le cuivre et le bronze. Les pierres précieuses ou semi-précieuses, telles que le lapis-lazuli, l’agate, la cornaline, l’onyx, le jaspe, ou la turquoise du Sinaï, ornaient les bijoux, comme les bracelets, les bagues et chevalières, les colliers. Les orfèvres jouaient à la perfection les mélanges de couleurs pour la pâte de verre. Parmi les bijoux célèbres, figure un collier en lapis-lazuli, or et turquoise à l’effigie de la déesse vautour Nekhbet, ainsi qu’une boucle d’oreille dite « aux oiseaux bleus » en or et pâte de verre, les deux bijoux ayant appartenu à Toutankhamon.
Les femmes portaient des bracelets en or et ivoire ornés de papillons travaillés dans la cornaline, mais le bijou par excellence était le collier, parure préférée de la femme égyptienne. Les plus modestes, à défaut d’or et de pierres précieuses, adoptaient des bijoux de céramique et de bronze. Tous ces bijoux semblaient d’autant plus indispensables qu’ils prenaient valeur de talismans ; en effet, dès les plus anciens temps, le but des bijoux fut de protéger avant de parer, ils se portaient aux points les plus vulnérables du corps où, d’après les croyances antiques, il était indispensable de retenir pour la santé du corps le fluide vital de son Ka. Certains bracelets et périscélidès étaient essentiellement constitués de scarabées bleus ou verts, symboles du devenir et de la fécondation. Enfilés sur une cordelette, ils entouraient les poignets ou chevilles des femmes égyptiennes, et certains étaient 33 34 gravés de signes hiéroglyphiques, ce qui en faisait une sorte de fétiche. Pour l’Égyptien, les bijoux n’avaient pas qu’un simple rôle esthétique : leur fonction était aussi prophylactique, car ils étaient censés protéger leur possesseur de toute agression extérieure, grâce à leurs nombreux pouvoirs magiques. Ainsi, l’or, la chair du soleil, transmet sa puissance divine : un collier en or était supposé par celui qui le portait lui assurer de conserver sa virilité, par la bonne grâce du dieu Min, géniteur du monde. Quant au jaspe, il rappelle la croissance et l’épanouissement de la vie. Les Égyptiens, tout en satis faisant leur goût pour l’orfèvrerie, entendaient faire du bijou un objet votif et propitiatoire tout à la fois.
La musique
La musique tenait une grande place dans la vie des Égyptiens, elle ponctuait tous les actes du quotidien, les naissances, les fêtes, les travaux des champs, les cérémonies religieuses et funéraires. La musique était aussi une source de plaisir, de délassement et probablement un moyen de ressources supplémentaires pour ceux qui louaient leurs services pour des animations. Dans le mastaba d’Akhetotep, un magnifique relief représente une scène de musiciens et de chanteuses. Si la plupart des Égyptiens chantaient et s’accompagnaient d’instruments, la musique était réservée essentiellement à des professionnels, hommes ou femmes. Ainsi dans les temples, les prêtres serviteurs officiaient aux côtés de musiciens et de chanteuses attachés à leur service ; il existait parmi eux une hiérarchie placée sous les ordres d’un directeur des chants. À partir du Nouvel Empire, on a vu se créer de véritables orchestres.
Pour accompagner les chants, les Égyptiens se servaient de divers instruments, le plus populaire semblant avoir été la harpe, dotée de six ou sept cordes. La harpe pouvait comporter jusqu’à vingt cordes, mais dans ce cas elle était réservée essentiellement au service du temple et de la cour de Pharaon, et l’on en jouait debout ; toujours à partir du Nouvel Empire, la cithare et la lyre, instruments importés d’Asie, ont gagné la faveur des Égyptiens. Les flûtes longues ou courtes s’utilisaient horizontalement, à l’exemple de la flûte traversière de nos jours. Sur des fresques, il est fréquent de voir des danseuses rythmant leurs pas aux sons qu’elles tirent de leurs flûtes. Comme instrument à anche, les musiciens égyptiens utilisaient une sorte de hautbois, aux sons plus graves que la flûte.
Si les Égyptiens aimaient le chant, ils ne dédaignaient pas la danse, moyen d’expression plutôt féminin, les instruments à percussion étant indispensables pour donner le rythme. Si le plus ancien mode de percussion est le frappement des mains, les Égyptiens disposaient d’instruments comme les « claquoirs », ancêtres des castagnettes espagnoles : ces claquoirs pouvaient être en or, en ivoire ou en bois, façonnés en forme de mains, ce qui leur donnaient un caractère magique, du fait que le bruit rythmé était censé faire fuir les mauvais esprits.
Parmi les instruments, le tambourin, sorte de petit tonneau sur lequel était tendue une peau, était très prisé, mais le plus typiquement égyptien est le sistre. Cet instrument était composé d’un manche sur lequel était fixée une pièce de bronze en forme de fer à cheval percée de trous, où passaient de fines cordes métalliques sur lesquelles étaient fixés de petits anneaux de métal. Il suffisait d’agiter l’instrument pour que les anneaux, en se déplaçant, provoquent un bruit de crécelle, ce qui devait ressembler aux bruissements des tiges de papyrus. C’était aussi l’instrument sacré et l’emblème de la déesse Hathor, déesse de l’amour et de la danse. Le sistre était parfois orné de la tête d’Isis, déesse des mystères, à qui les Égyptiens en attribuaient l’invention ; il était utilisé avec la harpe dans les cérémonies religieuses, par les prêtres attachés au service des temples, et avait aussi la vertu magique de chasser les mauvais esprits venus de l’extérieur des maisons ou des tombes.
Si nous avons connaissance des instruments, par les fresques, les papyri, les ostraca, nous ignorons encore aujourd’hui sur quels thèmes 36 musicaux les Égyptiens exerçaient, car ils ne nous ont légué aucune notion musicale du fait que la partition n’existait pas, tout se transmettant par tradition orale et auditive. Donc, nous ne savons rien des musiques ni des rythmes employés à l’époque ; néanmoins on peut imaginer que des codes musicaux existaient pour accompagner des chants dont certaines paroles nous sont parvenues, comme c’est le cas pour le Chant du harpiste.
Une fête à Akhet-Aton
Après ce tour d’horizon des divers instruments de musique égyptiens, voici, pour terminer sur une perspective imagée, une reconstitution d’un repas chez un notable de Tell elAmarna, la cité d’Akhet-Aton :
Nous sommes dans la riche demeure d’un dignitaire. Au palais du roi, Ser-our est responsable de la charrerie et des greniers à blé. Sa dame Nefer-ounnet assure la surveillance des parfums, des huiles et des onguents, dans le service de la reine Néfertiti.
Construite à l’écart des faubourgs de la cité, la villa est située sur les hauteurs et domine les palais et le temple d’Aton ; la vue s’étend sur l’ensemble de la rive droite du Nil ainsi que sur la magnifique vallée de Tell el-Amarna. Celle-ci est plantée de gigantesques sycomores et d’acacias en fleurs qui dégagent une odeur suave, et à la tombée du jour, des ibis jargonneurs viennent s’y reposer pour la nuit. Ser-our est très fier de sa villa, qui donne sur une splendide pièce d’eau où fleurissent par centaines des lotus blancs et roses. La chaleur des mois de shemou laisse planer une agréable tiédeur, le ciel est encore paré des derniers rougeoiements du Disque du jour qui descend lentement dans sa barque vers l’autre monde, laissant s’allumer sur le fond du ciel les premières étoiles de la constellation d’Orion-Osiris, alors que la Voie lactée se déploie en un long fleuve céleste.
Les invités arrivent par petits groupes, et, devant la grande porte ouvrant sur les jardins de la villa, ils sont accueillis par des serviteurs nubiens. Ils empruntent la longue allée bordée d’olibans, de jasmins, de lys, qui exhalent une senteur presque enivrante, avant de pénétrer dans une grande salle, que côtoie un salon d’hiver richement meublé en bois du Liban. Dans la salle, quatre colonnes papyriformes finement décorées soutiennent un plafond bleu ciel, autour duquel court une frise sur laquelle sont peints des ouaret (uraeus). De petites fenêtres percées en hauteur assurent à la fois la ventilation et la lumière du jour.
Ser-our accueille ses invités avec grande courtoisie et fait remettre à leurs dames, par de jeunes servantes, des cônes soigneusement préparés et parfumés avec de la résine de térébinthe, de fleurs de genêt, de safran et de cannelle. Cette offrande est un signe de bienvenue, et, frottés sur le visage, les bras ou les épaules, ces cônes parfumés répandent une fraîcheur bienfaisante. Après les compliments d’usage adressés aux uns et aux autres, Nefer-ounnet invite les convives à prendre place autour de petites tables en bois pour commencer le festin. De jeunes servantes légèrement vêtues d’une courte robe de lin blanc apportent des bières bien fraîches, des fruits et des gâteaux au miel dressés en pyramide sur un plateau tressé en vannerie.
Afin de mettre de l’ambiance, de jeunes nubiennes entament des danses aux sons d’une harpe et d’une flûte accompagnées de tambourins, d’autres ventilent les convives avec de grandes rémiges d’autruche. Certains des invités ont entamé des parties de Senet, d’autres sont montés sur la terrasse de la villa pour chercher un peu d’air frais et admirer le panorama qui s’étend de la cité atonienne aux rives du Nil, qui, sous la lumière cendrée de la Lune, scintille en paillettes d’argent. Le « tut » des crapauds se mêlent aux bruissements confus de l’eau d’une fontaine en granit rose qui orne le milieu d’un superbe bassin. De la terrasse on remarque le palais d’Akhenaton qui se découpe sur un fond de nuit, les fenêtres sont allumées.
Le moment du repas a sonné, un serviteur a frappé sur un énorme disque en bronze et les invités s’affairent joyeusement autour des petites tables où ils prennent place. Venant des cuisines, des serviteurs vêtus de pagnes et torse nu apportent sur des plateaux des viandes de bœuf grillées, des oies farcies au riz et parfumées au coriandre, des canards rôtis arrosés d’une sauce au miel et à la menthe, ainsi que des ragoûts qui sentent bon le poireau et l’oignon. La bière blonde et le vin du Delta sont servis sans limite, ainsi que des vins de liqueur à base de dattes ou de figues pour les dames. Du karcadé chaud, tisane à base de feuilles d’hibiscus, sera offert à la fin du repas.
C’est une soirée de fête, le festin bat son plein dans un joyeux brouhaha de jacasseries, d’éclats de voix, de plaisanteries, de rires, et les convives font honneur aux mets, manifestant un fort appétit. Les danseuses redoublent de virtuosité et l’ondulation de leurs corps attire les regards ; c’est alors qu’une jeune musicienne attaque les premières notes du Chant du harpiste : une mélodie populaire créée pour inviter le peuple à profiter de l’instant présent et jouir des bienfaits terrestres qui seront reconduits, le moment venu, dans l’autre monde. Les invités se joignent aux danseuses, rythment leurs pas sur des claquements de mains et mêlent leurs voix à la mélodie de la harpe ; Ser-our et Nefer-ounnet prennent part à cette soirée de réjouissance et de convivialité. Mais hélas les heures de la nuit se sont écoulées, le moment est venu de se séparer ; les invités repus et quelque peu fatigués quittent la villa, remerciant le notable Ser-our et sa dame, qui, très honorés de leur présence, remettent à chacun une fleur de lotus en signe d’une prochaine invitation.
La lumière des étoiles s’est éteinte et la Lune s’est endormie derrière les falaises de Tell-el-Amarna. Le ciel s’éclaire timidement, les premières lueurs de l’aube annoncent à nouveau la naissance et la montée du disque resplendissant Aton, les rumeurs de la rue s’élèvent et les prêtres du Grand temple s’apprêtent pour la célébration du culte d’adoration, à la gloire de la splendeur du dieu. »
Extrait de la Revue Rose-Croix n°226 – juin 2008, texte de Louis Caillaud, membre de la section « Égyptologie » de l’Université Rose-Croix Internationale –