« Un rêve non interprété est comme une lettre non déchiffrée. »
Le Zohar
« Au cours des chapitres précédents, nous avons soulevé un certain nombre de principes relatifs à l’interprétation des rêves, mais c’est maintenant que nous aborderons ces principes dans le détail.
Primauté des associations
Commençons par l’analyse d’un rêve d’un patient de Carl Gustav Jung.
« Je me trouve dans un jardin et j’y cueille une pomme. Je regarde avec précaution autour de moi pour voir si personne ne m’a vu.»
Avant d’examiner de quelle façon Jung a guidé son patient dans la compréhension de ce rêve, j’invite le lecteur à répondre à une question : « Pouvez-vous interpréter le rêve qui vient d’être raconté ? »
Je devine que vous aurez cherché à élaborer une interprétation de ce court rêve : expression d’un sentiment de culpabilité, évocation du fruit défendu, ou autre explication se rattachant au symbolisme universel. Or, c’était une question piège, pour laquelle une seule réponse est possible : « non ». Non, vous ne pouvez pas interpréter ce rêve parce que vous ne connaissez pas le rêveur. Les hypothèses émises pourront s’avérer exactes, mais la question posée exigeait de confronter le sens général des symboles évoqués à la situation particulière du rêveur. Il manque un élément indispensable et primordial pour interpréter ce rêve : la connaissance du rêveur.
Ce que cet exemple met en évidence, c’est l’impossibilité pour quiconque d’interpréter le rêve d’un inconnu. Tout ce que l’on peut dire n’est, en fait, que supposition. Le meilleur interprète d’un rêve ne peut être que le rêveur lui-même puisque, comme le déclare Jung, « le rêve est ce théâtre où le rêveur est à la fois la scène, l’acteur, le souffleur, le régisseur, l’auteur et le critique ».
Ainsi, pour aider quelqu’un à comprendre ses rêves, il faut d’abord l’inviter à faire des associations entre le contenu de son rêve et son vécu personnel. Afin d’illustrer ce principe, Jung raconte que deux de ses patients ont fait un rêve au contenu identique, mais dont l’interprétation fut tout à fait opposée. Dans les deux cas, le rêveur traversait un vaste terrain à cheval avec un groupe de jeunes gens. Il se trouvait en tête du groupe et parvenait à franchir un fossé de justesse, alors que les autres membres du groupe n’y arrivaient pas.
L’un des rêveurs était un jeune homme prudent, introverti et peu sûr de lui, tandis que l’autre était un homme d’âge mûr malade, mais téméraire et insoumis aux directives de son médecin. On peut comprendre alors que le rêve invitait le jeune homme à l’audace, et l’homme âgé à la modération. Pour le premier, le fait d’avoir été le seul à avoir franchi le fossé fut interprété comme une invitation à développer la confiance en lui-même, à se dépasser. Pour le second, dont le vécu était entièrement différent, c’est le fait d’avoir presque raté le saut à cheval qui devint significatif. Le rêve fut interprété comme une invitation à la modération, une incitation de l’inconscient à suivre les recommandations du médecin. Un vécu différent a donc entraîné une interprétation différente d’un rêve identique, ce qui démontre bien l’importance des associations entre le contenu du rêve et la situation personnelle du rêveur.
Examen du symbolisme universel
Une fois établie la primauté des associations, il devient utile de recourir à un dictionnaire approprié pour approfondir les symboles de portée universelle.
À titre d’exemple, un membre de mon entourage m’a raconté de quelle façon l’analyse du symbolisme universel lui avait permis d’approfondir le sens d’un rêve dans lequel des oiseaux tournaient autour du soleil. Cherchant à établir un lien entre sa vie personnelle et le contenu du rêve, il comprit que ce dernier reflétait son désir d’élévation intérieure et constituait un encouragement à poursuivre sa quête spirituelle. Puis, ayant été fortement impressionné par le mouvement circulaire des oiseaux autour du centre lumineux, il voulut en approfondir le symbolisme.
Dans un dictionnaire de symboles, il découvrit que la plupart des traditions spirituelles considèrent le cercle avec un point en son centre comme un symbole de la divinité et de la création qui en émane. Cette explication toucha une corde sensible et enrichit son interprétation. Dans ses méditations ultérieures, cette image des oiseaux tournant autour du soleil lui rappellera le point dans le cercle, l’unité et la totalité, le Créateur et la Création.
L’étude du symbolisme a donc comme propriété d’élargir la compréhension des rêves, d’amplifier leur signification. Elle permet une interprétation plus approfondie, grâce à un matériel comparatif issu des légendes, des contes, de la mythologie, des grandes traditions spirituelles et des sciences humaines en général.
Pour revenir à notre exemple, le rêveur examina également le sens accordé au soleil et aux oiseaux dans les grandes traditions mystiques. Voici ce qu’il lut dans un dictionnaire de symboles à propos du soleil : « S’il n’est pas dieu lui-même, le soleil est chez beaucoup de peuples une manifestation de la divinité. » Cette signification quasi universelle du soleil a donc renforcé le sens sacré accordé à sa première interprétation. Quant aux oiseaux, indépendamment de leur disposition circulaire, son vécu personnel l’incita à les considérer comme le reflet de son désir d’élévation spirituelle. En plus de fortifier ce sentiment, sa référence au symbolisme universel lui fournit une autre piste de méditation fructueuse puisque, dans la tradition védique, les oiseaux symbolisent « l’amitié des dieux envers les hommes ».
Bref, en examinant les divers sens symboliques accordés aux images qui surgissent dans nos rêves, nous verrons certains rejoindre davantage notre expérience personnelle et permettre une interprétation plus complète.
Modèle d’interprétation
Ayant en tête ces deux principes, à savoir la primauté des associations personnelles et l’examen du symbolisme universel, revenons au rêve du patient de Jung qui cueillait une pomme dans un jardin, craignant d’être aperçu.
Soulignons d’abord que le rêveur fit lui-même l’interprétation de son rêve. Le rôle de Jung consista principalement à le ramener à son expérience personnelle, tout en lui présentant le sens universel du fruit défendu, car, malgré sa vaste connaissance du symbolisme, il accordait toujours la priorité à l’expérience personnelle du rêveur. Quand il le jugeait à propos, il faisait part à ses patients du sens donné dans la mythologie aux symboles évoqués, dans le but de renforcer leurs associations personnelles.
Je vous propose donc, sous la forme d’un dialogue entre Jung et son patient, l’interprétation résultant du rêve de la pomme cueillie dans un jardin.
La cueillette d’une pomme
RÊVEUR : J’ai rêvé que je me trouvais dans un jardin et que j’y cueillais une pomme. Je regardais autour de moi pour m’assurer que personne ne m’avait vu.
JUNG : Pouvez-vous rattacher ce rêve à un événement quelconque de votre vie ?
R. : Je me souviens que, durant mon enfance, il m’est arrivé une fois de voler des poires dans un jardin. Peut-être mon rêve évoque-t-il cet événement de mon enfance ?
J. : C’est bien possible, car la culpabilité est un sentiment qui surgit souvent dans les rêves. Pouvez-vous associer votre rêve à un autre événement ? …
R. : Hier, dans la rue, j’ai rencontré une fille que je connaissais et j’échangeai quelques mots avec elle. À cet instant passa un de mes amis, et un curieux sentiment de gêne s’empara de moi.
J. : Pouvez-vous associer votre rêve à d’autres choses ?
R. : La pomme me rappelle la scène du paradis terrestre. Je n’ai jamais compris pourquoi le fait d’avoir goûté au fruit défendu avait eu des conséquences si tragiques pour Adam et Ève. Je suis toujours irrité de cette injustice divine.
J. : Votre rêve vous suggère-t-il d’autres associations ?
R. : Je me souviens que lorsque j’étais enfant, mon père m’a souvent puni pour des raisons incompréhensibles. Il s’est montré particulièrement sévère un jour où il m’a surpris en train d’observer en cachette mes petites sœurs qui prenaient leur bain.
J. : Y a-t-il d’autres événements récents ou lointains qui peuvent avoir un rapport avec votre rêve ?
R. : Je dois vous avouer que dernièrement, je me suis lancé dans une aventure sentimentale avec une servante, et l’aventure n’est pas encore parvenue à ses fins naturelles.
J. : À mon avis, cette dernière association mérite une attention toute spéciale. Votre rêve reflète la frustration que vous avez éprouvée parce que la servante a refusé de répondre à vos attentes. C’est la dimension compensatoire de votre rêve. Par contre, la crainte d’être observé en train de voler la pomme montre que votre inconscient n’approuve pas votre conduite. Ce rêve a activé en vous l’archétype du fruit défendu. Il acquiert ainsi une signification plus profonde. Il devient une invitation à mener une vie sexuelle plus rangée. C’est la dimension anticipatrice de votre rêve.
Ce modèle d’interprétation illustre bien l’usage des associations personnelles et le recours au symbolisme universel dans l’analyse d’un rêve.
Piste d’interprétation personnelle
Voici à présent une série de questions que l’on peut se poser pour élaborer les associations personnelles, lors de l’analyse d’un rêve. Chaque question sera reprise et expliquée à la suite du tableau ci-après.
Pistes d’interprétation des rêves
- Quelles associations me suggère mon rêve ?
- Qu’est-ce que l’inconscient cherche à m’enseigner ?
- S’agit-il d’un rêve récurrent ?
- Quel est son impact émotionnel ?
- Quel est le contexte du rêve ?
- Est-il lié à un problème qui me préoccupe actuellement ?
- Met-il en cause certaines situations pénibles de mon enfance ?
- M’invite-t-il à rectifier un point de vue inexact ?
- En quoi remplit-il une fonction de compensation ?
- Ce rêve permet-il d’anticiper l’avenir ?
- Quelle facette de ma personnalité met-il en lumière ?
- Que me révèle-t-il sur mon ombre ?
- Présente-t-il des images qui se rattachent au symbolisme universel ?
- Revêt-il un caractère spirituel ?
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Quelles associations me suggère mon rêve ?
Cette question constitue le principe fondamental de l’interprétation onirique. C’est la question centrale dont toutes les autres découlent. Elle affirme l’importance d’établir des liens entre le contenu de nos rêves et notre vécu personnel.
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Qu’est-ce que l’inconscient cherche à m’enseigner ?
Selon Freud et Jung, les rêves surgissent de l’inconscient. Par le biais des associations, nous établissons des ponts entre l’inconscient qui les produit et le conscient qui les interprète.
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S’agit-il d’un rêve récurrent ?
Les rêves n’ont pas tous la même importance. Ceux qui se répètent, les rêves récurrents, méritent une attention toute spéciale, car ils représentent une insistance de l’inconscient auprès du conscient. C’est comme si le premier venait frapper régulièrement à la porte du second pour le sensibiliser à une réalité qui le dépasse. « Le rêve récurrent, déclare Jung, est un phénomène digne de remarque, [signifiant], en général, un effort pour compenser un défaut particulier de l’attitude du rêveur face à la vie. […] Il peut aussi anticiper sur quelque événement à venir.»
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Quel est son impact émotionnel ?
Pour ce qui est de l’impact émotionnel, on peut dire que plus un rêve nous émeut, plus il est significatif et plus il mérite notre attention. Il faut toujours tenir compte des sentiments que l’on éprouve au cours d’un rêve, de même qu’au réveil. Si, par exemple, on a rêvé d’un animal, il est important d’examiner s’il nous effrayait ou nous plaisait.
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Quel est le contexte du rêve ?
Le contexte du rêve peut s’entendre au sens subjectif et au sens objectif. Le point de vue subjectif correspond à l’expérience personnelle du rêveur. S’interroger sur le contexte subjectif d’un rêve revient à la question fondamentale : À quels événements de ma vie personnelle puis-je associer mon rêve ? Par contre, le contexte objectif se rapporte au contenu du rêve, plus exactement à la façon dont les symboles s’y manifestent. Par exemple, si l’eau y est très présente, il faut examiner si elle est claire ou brouillée, propre ou boueuse, désaltérante ou dévastatrice. Il est donc important de considérer le contexte, tant objectif que subjectif, du rêve.
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Est-il lié à un problème qui me préoccupe actuellement ?
L’une des fonctions du rêve est de servir d’exutoire au stress accumulé durant le jour. Il permet de pallier les troubles affectifs occasionnés par les préoccupations quotidiennes. Il assure ainsi le maintien de notre équilibre psychologique. Des recherches ont démontré qu’une absence de rêves est aussi dommageable à la santé psy- chique qu’un manque de protéines l’est pour le corps.
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Met-il en cause certaines situations pénibles de mon enfance ?
Il est bien connu que les expériences douloureuses de notre enfance prennent souvent un long temps à guérir. Les émotions réprimées s’entassent dans l’inconscient individuel, formant ce que Jung appelle l’ombre. Elles affectent le développement de notre personnalité et influencent nos comportements au point de nécessiter une assistance thérapeutique pour certaines personnes. Or, beaucoup de nos rêves se rapportent à ces impulsions réprimées dans le bas âge. Ils servent d’exutoire et permettent une sorte d’« aération » de l’inconscient. Voilà pourquoi bien des thérapeutes utilisent les rêves de leurs clients pour les aider à résoudre leurs problèmes psychologiques. Il est reconnu que le fait d’écrire et d’analyser nos rêves constitue une sorte d’auto-analyse parfois exigeante mais toujours bénéfique.
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M’invite-t-il à rectifier un point de vue inexact ?
Comme expression de l’inconscient dans son sens le plus complet, le rêve propose souvent des rectifications de la pensée consciente. Par exemple, celui du jeune cavalier qui parvint à franchir un fossé démontrait au rêveur que son image personnelle était réductrice. Souffrant d’un manque de confiance en soi, ce jeune homme maintenait en sa pensée une image inexacte de lui-même. Le rêve lui permit de modifier l’idée qu’il se faisait de lui-même. Le contraire peut également se produire : une personne portée à se surestimer fera des rêves qui l’amèneront à rectifier cette attitude, comme cette dame qui fut assimilée à des vaches au cours d’un de ses rêves.
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En quoi remplit-il une fonction de compensation ?
Dans une démarche d’analyse personnelle de nos rêves, il est utile de se demander en quoi ils jouent un rôle compensatoire. La compensation peut s’exercer sur le plan émotif et sur le plan cognitif. Un rêve offre une compensation émotive dans la mesure où il permet de corriger un déséquilibre affectif. Quant à la compensation cognitive, elle représente l’aptitude des rêves à corriger la pensée consciente.
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Ce rêve permet-il d’anticiper l’avenir ?
Jung déclare qu’en plus de leur fonction compensatoire, les rêves remplissent une fonction anticipatrice. Ils permettent d’anticiper l’avenir, ils offrent des indications concernant le futur. Dans l’exemple de la cueillette d’une pomme, nous avons noté précisément que le rêve jouait un rôle anticipateur parce que le sentiment de culpabilité qui s’y rattachait incitait le rêveur à changer ses comportements futurs. L’anticipation est évidente aussi dans le rêve étudié dans le deuxième chapitre, d’un chimiste américain qui se prépara en rêve au sauvetage d’une collègue de travail.
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Quelle facette de ma personnalité met-il en lumière ?
Nous sommes les héros de nos rêves. Les personnages qui s’y présentent symbolisent diverses facettes de notre personnalité. Si on voit apparaître un agresseur par exemple, il est vain de se demander s’il s’agit d’un voisin antipathique ou d’un ennemi quelconque. C’est habituellement de nous qu’il s’agit. On doit plutôt se questionner sur les craintes qui nous habitent ou les blocages qui nous étouffent.
Parmi les personnages représentatifs de notre personnalité, Jung mentionne l’anima pour les hommes et l’animus pour les femmes. Lorsqu’un homme rêve d’une femme douée des qualités typiques de la féminité, Jung y voit une activation du principe féminin en l’homme, qu’il appelle l’anima. De la même façon, une femme qui rêve d’un homme idéal dans ses qualités masculines doit voir dans cet homme une facette d’elle-même, que Jung appelle l’animus.
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Que me révèle-t-il sur mon ombre ?
L’ombre revêt deux significations principales : l’ensemble des émotions refoulées dans notre inconscient individuel depuis notre enfance et les défauts dont nous sommes conscients, mais que nous cherchons à dissimuler à notre entourage. Or, nos rêves nous mettent fréquemment en contact avec notre ombre, qui apparaît alors sous les traits d’un personnage du même sexe que nous. Nous ne devons pas hésiter à analyser ces rêves particuliers qui révèlent le côté sombre de notre être. Cela demande du courage, mais la croissance qui en résulte constitue la plus belle des récompenses. La confrontation avec notre ombre, en rêve ou autrement, procure une prise de conscience salutaire et régénératrice, à condition, bien sûr, de ne pas dégénérer en un stérile sentiment de culpabilité.
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Présente-t-il des images qui se rattachent au symbolisme universel ?
Lorsqu’un rêve a recours à des images de portée universelle, un dictionnaire de symboles est fort utile. Comme nous l’avons expliqué précédemment, le fait de comparer le contenu de nos rêves à du matériel puisé dans différentes cultures permet un enrichissement ou amplification de son interprétation.
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Revêt-il un caractère spirituel ?
Cette question intéressera principalement les personnes qui font une démarche spirituelle. Les mystiques affirment que les symboles constituent le langage de l’âme. Comme nous l’avons expliqué avec l’exemple de la baignade, ils ne s’arrêteront pas seulement à l’interprétation littérale ou psychologique de leurs rêves, mais ils chercheront également à comprendre de quelle façon ils éclairent leur cheminement mystique. »
Extrait du livre de Robert Blais « Les rêves, messagers de l’âme » – Diffusion Rosicrucienne