Il y a peu de monuments d’édification récente qui aient suscité autant de controverses que celui baptisé Georgia Guidestones, implanté en Géorgie, aux Etats-Unis, et qui a aujourd’hui disparu en raison de sa destruction par un engin explosif.
Construction d’un monument surprenant
Edifié par la Elberson Granit Finishing Company en 1980, les Georgia Guidestones étaient constituées par d’imposants panneaux de granit, disposés selon des alignements astronomiques précis. Sur ces immenses pierres étaient gravés « dix commandements » que l’on pouvait lire aussi bien en anglais, en arabe, en chinois, en russe, en hindi, en espagnol, qu’en sanskrit, en hiéroglyphes égyptiens et en babylonien.
À ce jour, on ignore toujours l’identité réelle du commanditaire des Georgia Guidestones, à l’origine de ce site particulier. Seul le pseudonyme qu’il avait utilisé auprès de la Compagnie de granite avait été apposé comme signature sur le monument : Robert C. Christian.
Les Georgia Guidestones : entre fascination et détestation
De toute évidence, le site des Georgia Guidestones remplissait toutes les conditions pour entretenir à la fois le mystère et la fascination. En premier lieu, son allure rappelait celle des grands sites mégalithiques. De surcroît, ces « dix commandements » évoquaient immanquablement ceux de Moïse dans l’Ancien Testament. Enfin, leur traduction en plusieurs langues mortes faisait également un lien avec les plus anciennes civilisations connues.
Dès son inauguration, le monument a déclenché de très vives réactions. Implantées dans une région américaine réputée pour son fondamentalisme religieux, ces pierres ont été rapidement considérées comme sataniques. D’autres y voyaient une manifestation inquiétante de la Franc-Maçonnerie, alors que certains optaient pour un lieu de culte destiné à une antique religion païenne. Quoi qu’il en soit, on mesure à quel point le site cristallisa, dès le départ, les peurs, les craintes et les fantasmes de différentes communautés.
Dix commandements pour « l’âge de la raison »
Les « dix commandements » gravés dans les pierres étaient destinés, comme indiqué sur le monument lui-même, à « guider l’humanité vers l’âge de la raison ». Y étaient abordées les questions de la population mondiale ; l’orientation intelligente de la reproduction humaine ; l’équilibre avec la nature ; l’unification de l’humanité par une langue universelle ; la modération dans le cadre de la foi et des traditions ; l’établissement d’un tribunal mondial pour gérer les tensions internationales ; le rejet des lois et des fonctionnaires inutiles ; l’équilibre entre droits individuels et devoirs sociaux ; la primeur de la beauté, de la vérité et de l’amour ; la quête d’harmonie avec l’infini ; et enfin la nécessité de laisser une place à la nature.
Quelques-uns de ces « commandements » étaient en contradiction avec les convictions religieuses locales, ce qui attisa d’autant plus le ressentiment à leur encontre. De même, certains d’entre eux touchaient à l’organisation sociale et à la politique internationale, ce qui en fit un objet d’inquiétude.
Nombre d’auteurs essayèrent de percer le mystère du site des Georgia Guidestones et échafaudèrent des théories personnelles axées sur les sociétés secrètes qui ont rencontré un certain succès dans les milieux réputés « complotistes ». Aujourd’hui, les théories censées révéler leur secret se conjuguent volontiers avec la thèse du « nouvel ordre mondial« . Ainsi, les commandements gravés sur les panneaux de granit dissimuleraient en réalité un programme eugéniste destiné à instaurer un ordre nouveau et totalitaire, par une réduction drastique de la population humaine. Selon les tenants de cette théorie, toutes les sociétés secrètes seraient de connivence pour asseoir cette domination.
Les Georgia Guidestones étaient-elles d’origine rosicrucienne ?
Sur Internet et dans certaines publications, il n’est pas rare de lire que la Rose-Croix serait à l’origine de l’édification des Georgia Guidestones. Alors, qu’en est-il vraiment ?
Il est intéressant de noter que ce n’est qu’à partir de 2005, soit 25 ans après la naissance du site, qu’une origine rosicrucienne a été prêtée au monument dans un article publié sur Internet par un youtubeur américain, président d’une communauté religieuse fondamentaliste. Dans cet écrit, l’auteur constate que les initiales du commanditaire des Guidestones, Robert. C. Christian (R.C.C.), sont les mêmes que celles d’un personnage allégorique cité dans les premiers écrits rosicruciens du début du XVIIe siècle : Christian Rosenkreutz, appelé également « Père C.R.C. ». R.C.C…. C.R.C… Christian… Il n’en fallait pas plus pour qu’il en déduise qu’il s’agissait d’une preuve irréfutable que la Rose-Croix était bien à l’origine de la construction…
Ce qui s’apparente à une simple coïncidence est devenu une conviction, avant de se transformer en un fait indéniable pour des milliers de lecteurs et d’internautes. Pourtant, une étude sérieuse et impartiale de ce monument permet de constater qu’il ne comportait aucune référence rosicrucienne, ni dans les textes, ni dans les symboles qui figuraient sur ces pierres, ni même dans l’agencement du site lui-même. Par ailleurs, parmi tous les témoignages datant de la période de négociation de l’édification entre le commanditaire, Robert C. Christian, et l’Elberson Granit Company, aucune allusion à la Rose-Croix n’a été rapportée, ni aucune filiation revendiquée.
Bien que cela fasse perdre quelque peu l’aura de mystère qui entoure les Georgia Guidestones, (et vendre moins de livres), une enquête locale a établi qu’il s’agissait probablement d’une simple opération de communication orchestrée par Joe Fendley, alors directeur d’Elberton Granit, et de Wyatt Martin, président de la Granite City Bank, comme l’avaient déjà affirmé leurs propres collaborateurs. Quoi qu’il en soit, l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix n’a jamais eu aucun lien avec ce monument. Il n’est pas à l’origine de sa construction et n’y a contribué en aucune manière.
Les idéaux et la philosophie de l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix
Si l’A.M.O.R.C. n’est pas à l’origine du site des Georgia Guidestones, il ne souscrit pas non plus à un hypothétique projet ténébreux à l’encontre de l’humanité, comme avancé par quelques auteurs en mal de publicité. En raison même de sa devise (« La plus large tolérance dans la plus stricte indépendance »), il n’a aucun lien avec d’autres organisations, excepté l’Ordre Martiniste Traditionnel, qu’il parraine depuis le début du XXe siècle.
Cela étant, est-ce que la philosophie rosicrucienne prône une évolution de la société, afin qu’elle devienne plus juste, plus équitable, plus humaniste et plus respectueuse de la nature ? Oui, comme la grande majorité des gens, les Rosicruciens et les Rosicruciennes aspirent effectivement à l’émergence d’un monde meilleur. En cela, l’A.M.O.R.C. s’inscrit pleinement dans la tradition philosophique des cités utopiques comme la Cité idéale de Platon, l’Utopia de Thomas More, La Nouvelle Atlantide de Francis Bacon, ou la Cité du soleil de Tommaso Campanella. Selon la philosophie et la spiritualité rosicruciennes, l’humanité ne pourra se donner un bel avenir qu’à partir du moment où les citoyens eux-mêmes auront pris conscience de la nécessité de mener une quête de connaissance et de sagesse. Dès lors, ils œuvreront individuellement et collectivement pour le bonheur de tous et de chacun.